DIFFICULTÉS DES CENTRES JEUNESSE
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de l'intervention et de l'animation vu sous l'angle de la
psychoéducation.
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Mercredi le 20 septembre 2000 Les événements qui se sont produits aux Centres Jeunesse de la Montérégie - Pavillon Bois-Joly de St-Hyacinthe, ne m'ont pas le moindrement surpris. Selon le rapport d'enquête dévoilé le mardi 19 septembre dernier par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, certains jeunes ont souffert de mesures disciplinaires excessives, d'abus d'autorité, de propos dénigrants et de mises en isolement injustifiées. Ce genre de dérapage arrive trop fréquemment en centre jeunesse. Il ne faut surtout pas généraliser ces comportements à l'ensemble des éducateurs et éducatrices et surtout, il faut analyser chaque geste reproché dans son contexte sans oublier de vérifier d'où vient la plainte (ce qui se cache derrière). J'ai vécu l'expérience d'être éducateur en centre jeunesse lors d'un stage universitaire de quatre mois au sein d'une unité dite d'encadrement intensif (LPJ). Par la suite, j'ai travaillé un peu plus d'un an et demi au sein de diverses unités (protection de la jeunesse et jeunes contrevenants - garde ouverte et fermée - adolescents et adolescentes et ce dans plus de 13 unités différentes). La différence entre la garde fermée, l'encadrement intensif et la garde ouverte se situe au niveau du type d'encadrement requis ainsi que de la loi sous lequel le jeune est placé. La garde fermée est un milieu dit sécuritaire, les portes de l'unité sont barrées en permanence et il faut utiliser une clé pour entrer ou sortir de l'unité. De plus, les portes de chambre des jeunes hébergés sont également barrées et ce dernier ne peut sortir de sa chambre sans qu'un éducateur/trice lui ouvre sa porte. On parle ici de jeunes placés sous la Loi des Jeunes Contrevenants (LJC). L'encadrement intensif est une unité semblable à la garde fermée au niveau sécuritaire mais s'adresse aux jeunes placés sous la Loi de la Protection de la Jeunesse (LPJ), demandant, pour diverses raisons, un encadrement plus serré. La garde ouverte s'adresse aux deux lois (LJC et LPJ), l'environnement physique et sécuritaire est adouci par des mesures moins coercitives (portes d'unité et de chambre sans serrures, règles de vie allégées, etc.). Bonnes ressources Les jeunes sont confiés aux Centres jeunesse pour deux raisons principales. La première étant que leur sécurité et leur développement est compromis (par eux-mêmes ou par autrui). Ils seront alors pris en charge sous la Loi de la Protection de la Jeunesse (LPJ) et seront dirigés vers la ressource la plus adaptée (dans la mesure du possible...). La deuxième étant la commission d'un délit selon la loi. Le jeune, après avoir passé devant un juge du tribunal de la jeunesse, sera à son tour dirigé vers la ressource la plus adaptée à son délit en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (encore ici, il faudrait peut-être revoir ce qui est adapté ou non...). En règle générale, les jeunes placés sous la LPJ et sous la LJC ne se retrouvent pas dans les mêmes unités de réadaptation sauf pour certaines unités dites mixtes (droit de recevoir des jeunes contrevenants et des jeunes en protection de la jeunesse). Je ne suis pas là pour faire le procès des Centres Jeunesse. Durant près de deux ans, j'ai eu la chance de rencontrer des éducateurs et éducatrices extraordinaires mais également des personnes qui devraient revoir leur choix de carrière... La même chose m'est arrivée lors de différents emplois en loisir et en éducation. Par contre, je ressens le désir d'amorcer une réflexion sur les qualités et attitudes qu'une personne devrait disposer afin de faire son travail d'éducateur/trice le plus adéquatement possible. Et, lorsque que je parle d'éducateur/trice, je le vois au sens large et cela inclus toute personne étant en relation d'autorité et/ou d'éducation avec des jeunes. On parle ici d'enseignants/tes, d'éducateurs et éducatrices en garderies, d'intervenants sociaux, d'animateurs/trices en camp de jour - camps d'été - terrains de jeux - scout, etc.. Attitudes Chacune de ces personnes joue un rôle primordial, celui d'être un modèle à suivre par ses agissements, ses attitudes. Lorsque je parle de modèle, je ne parle pas de gens parfait, loin de là, mais bien de personnes avec leurs qualités et leurs défauts qui ont le souci de prendre soin des gens qu'on leur confie. Le rapport de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse parle d'intervenants mal formés. J'oserais aller plus loin en disant que ce sont des intervenants mal choisis par les comités de sélection ou mal encadré et évalué durant leur probation. Selon moi, on focalise beaucoup trop sur le côté technique (savoir) au détriment du côté humain. Je veux dire qu'au départ, les attitudes sont beaucoup plus importantes que le côté "savoir" puisqu'il est beaucoup plus facile d'apprendre des techniques que de changer des attitudes ou des croyances. Pour preuve, il suffit de faire référence aux nombreux conflits existants et persistants, dont certains allant assez loin en terme de violence psychologique, entre les éducateurs/trices au sujet des méthodes d'intervention. Par exemple, ceux et celles prônant le relationnel versus ceux et celles prônant plutôt l'arrêt pur et simple des comportements par des mesures plus coercitives. Pour ma part, je ne crois pas qu'on puisse aider un jeune sans établir un lien, aussi minime soit-il, avec lui. Par contre, je crois également que chaque comportement non acceptable doit être accompagné d'une conséquence adapté à sa gravité tout en étant respectueux du jeune et de son intégrité (et ce en tout temps, peu importe le geste commis). Dès que l'on manque de respect à un jeune, on est en train de lui accorder le droit de le faire à son tour (ce qui n'est pas très réadaptatif... à mon avis!). Personnellement, j'en ai vu des jeunes rock'n roll au cours des vingt dernières années. Des jeunes qu'on dit "poqués", ayant vécus toutes sortes d'abus (physiques, sexuels et/ou psychologiques), des "champions" sachant très rapidement trouver la petite bête noire qui nous fera réagir. J'en ai rencontré des violents et même certains qui auraient pu mettre ma sécurité en danger (plusieurs éducateurs/trices, animateurs/trices et enseignant(e)s ont subi des assauts physiques: morsures, coups, crachat, etc.). On choisit cette profession avec les risques l'accompagnant dans la mesure où tout est fait pour les éviter (ce qui ne veut surtout pas dire que des gestes semblables sont acceptables). Aide Ce que je peux affirmer, c'est que la chose la plus dangereuse pouvant se produire chez un intervenant, c'est d'oublier la raison première pour laquelle il est engagé: apporter de l'aide, du soutien au jeune. Mais, lorsqu'on se sent démuni, fatigué, désillusionné, on en vient à RÉAGIR à une situation au lieu d'AGIR sur un événement ou un comportement. On oublie de prendre du recul et d'analyser la situation, de regarder ce qui a motivé ce comportement et de suivre le cheminement parcouru par le jeune (et nous) pour en arriver à cette situation. On oublie souvent de se regarder et se demander notre degré de responsabilité dans une situation (sans pour autant enlever au jeune sa part de responsabilité, bien entendu). Savoir se remettre en question lors ou à la suite d'une intervention est, selon moi, une preuve de maturité et de professionnalisme. Nous sommes des professionnels soit, mais nous sommes humains et pouvons à certains moments être à côté de la «track». Et, si on n'apprend pas à s'auto-évaluer, à accepter les critiques des membres de notre équipe et à faire des commentaires de façon adéquate, on en arrive à des aberrations au niveau de l'intervention. Personnellement, j'ai ressenti beaucoup plus de violence au sein de certaines équipes de travail que de violence reçue ou ressentie de la part des jeunes. Probablement parce que les jeunes visaient plus particulièrement l'éducateur (l'adulte) que la personne alors qu'entre éducateurs/trices, c'est la personne qui est visé spécifiquement. Cela m'amène à parler de la cohérence ou plutôt de l'incohérence perçue quotidiennement et ce à divers degrés. On demande aux jeunes de se respecter, de nous respecter et nous que fait-on envers eux, entre-nous? On demande aux jeunes de régler adéquatement un conflit en discutant calmement et en cherchant des solutions pouvant satisfaire les deux parties et nous, que faisons-nous lorsque survient un différent clinique ou autre? Conditions de travail Avec les coupures dans le réseau de la santé, les directions ont joué au patrons et les employés ont joué aux syndiqués... Lorsque j'ai quitté les Centres jeunesse en novembre 1999, ne pouvant plus vivre cette incohérence structurale, plusieurs éducateurs/trices m'ont dit que j'étais courageux de partir. Ma position sur la liste de rappel avait atteint un seuil, plus qu'enviable après seulement 1 an et demi, où la sécurité d'emploi, le salaire de plus en plus intéressant et les avantages sociaux étaient plus qu'appréciables. «Courageux de partir»? Moi? Non, seulement cohérent avec mes croyances et mes agissements. Le pire dans tout cela : j'avais plus de peine à quitter certains jeunes que certains collègues de travail (encore ici, je veux spécifier qu'il s'agit d'une minorité et que je ne parle pas d'eux personnellement mais professionnellement). Est-ce les conditions de travail qui motivent ces éducateurs/trices? Si oui, je leur rappelle qu'ils travaillent avec des personnes à part entière et non avec des machines... Selon moi, il faut plusieurs qualités pour être ou devenir un bon intervenant. D'abord, l'ouverture d'esprit, la capacité d'être une personne significative (là pour aider, écouter, supporter, accompagner), la maturité (ouin, mais qu'est-ce que ça veut dire exactement?), la cohérence et la capacité de se remettre en question sont essentielles. Il faut aussi être en mesure d'accepter que certains jeunes soient vraiment perturbés et que leurs comportements soient reliés à leur état (cela paraît tellement évident et pourtant...). De plus, il est impératif de pouvoir intervenir dans la constance, la consistance et le respect. En plus d'être patient (est-ce de la patience qu'il faut ou tout simplement d'être à sa place?), il faut accepter que l'on soit là pour accompagner et non pour agir à la place du jeune. Donc, si le jeune ne bouge pas, ce n'est pas notre faute, par contre, ça nous demandera plus de créativité pour l'aider à travailler sur son comportement. Il faut tenir compte du contexte de coupures financières et de pleins d'autres manques de ressources sans oublier ceux et celles qui prennent des décisions sans avoir vécu la réalité de l'emploi. Mais, tout cela pourrait se régler si tous et chacun y mettaient de la bonne volonté et travaillaient dans un BUT COMMUN : les jeunes. Lorsqu'on vit une réalité financière et que des décisions affectent le travail d'une ou plusieurs personnes, il faudrait, de toute évidence, que celles-ci soient concertées afin de tenir compte de leur point de vue et des solutions qu'elles pourraient apporter afin de minimiser l'impact des coupures sur le service et sur leurs conditions de travail. Jeudi 21 septembre Le ministre Baril répond à la sortie médiatique de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (lu dans La Presse). En résumé, le ministre trouve que la Commission fait du sensationnalisme sur sa prise de position face aux pratiques des Centres jeunesse qu'il compare avec le milieu carcéral. Il a raison, car cela n'a rien à voir avec un milieu carcéral. Cependant, il y a des pratiques à changer et cela aussi est une certitude. Dans cet article de Katia Gagnon, le ministre fait référence au rapport d'un observateur, M. Jean-Jacques Camera, envoyé par le ministère pour faire la lumière sur les incidents. Ce dernier note que les incidents reprochés sont en voie de redressement. Il note également que le comité des usagés agit dans ce dossier en redresseur de torts et procède à un véritable règlement de compte. De plus, il souligne son incompréhension de la persistance de certains intervenants à alerter les médias pour convaincre que la situation au campus Bois-Joly est infernale. Je ne suis pas au courant des événements reprochés par les intervenants de Bois-Joly, mais la situation doit être comparable à ce que j'ai vécu. Si oui, le problème est profondément ancré: UN MANQUE FLAGRANT DE COMMUNICATION ET DE BONNE VOLONTÉ DE PART ET D'AUTRES AGGRAVÉ PAR UN MANQUE DE RESSOURCES. Bizarre que plusieurs serrures soient défectueuses dans un milieu dit sécuritaire. Étrange qu'il y ait tant d'éducateurs/trices en burn-out, en différé à la recherche d'un nouvel emploi. Curieux d'entendre des éducateurs/trices dire: "Je l'ai guéris". Ah? Je savais pas qu'il était malade! Peut-être aurions-nous besoin d'états généraux sur l'éducation au sens large ou plutôt sur la jeunesse, ce qu'on désire qu'elle soit et qu'elle devienne. Voilà un vrai projet de société. Stéphane Vincelette Vous avez le droit de réagir à ce commentaire (et j'espère que vous le ferez): Lundi 2 octobre 2000, La Presse Tiens, tiens, un autre article dénonçant la détresse des jeunes "confiés" aux Centres jeunesse. Cette fois-ci, ce sont deux psychologues (Louisiane Gauthier et Gérald Lajoie) des Centres jeunesse de Montréal qui nous partagent cette détresse vécue par des enfants et des adolescent(e)s qui doivent vivre avec les décisions ou indécisions du système. De Jonathan, 6 ans, (les noms ont été changés) qui dort dans la salle de lavage d'un centre, à Nathalie, 6 ans également, qui "grâce" au virage milieu est maintenue chez sa mère itinérante et toxicomane et suivie par quatre travailleuses sociales différentes au cours des derniers mois. Sans oublier une adolescente de 16 ans qui s'est fait arrêter intentionnellement afin de recruter des filles du centre pour le réseau de prostitution de son chum... Toutes ces histoires peuvent sembler irréalistes mais selon ma propre expérience, elles sont sûrement bien réelles. Mais attention, il n'y a pas que des aberrations dans le système. Le problème c'est qu'il y en a beaucoup trop... |
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